L’Etranger dans la Bible (1)

L’actualité est parfois brutale avec les informations qui évoquent les déplacements de migrants aujourd’hui. Des passeurs malveillants et cupides ajoutent à ce problème un poids de violence et de cruauté indigne. Les gouvernements, bien embarrassés, surtout lorsqu’ils ont des côtes sur la Méditerranée, cherchent des solutions qui doivent surtout satisfaire leur électorat. Mais l’accueil de l’étranger demeure un problème humain plus que politico-économique.

Le chrétien que je suis est mal à l’aise face aux discours souvent malsains autour de l’étranger. Que faut-il penser et comment agir en ayant l’esprit évangélique invité dans la réflexion ?

Il n’est pas inutile de se poser la question : Est-ce que la Bible aborde le sujet de l’étranger, du migrant, du demandeur d’asile ?

Eh bien, la réponse est claire, d’emblée et sans hésitation : la Bible, Ancien et Nouveau Testament, parle beaucoup de l’étranger. Autant que de la veuve et de l’orphelin ; autant que du pauvre et de l’exclu. D’ailleurs, le statut de l’étranger est souvent associé à celui des déshérités, des oubliés, des faibles, des vulnérables.

Veillons au vocabulaire

L’Ancien Testament, qui est écrit en hébreu, utilise plusieurs mots différents pour parler de l’étranger, en fonction notamment de sa situation.

Les mots utilisés (au moins quatre) ne sont pas nécessairement des synonymes et ces termes ne sont pas – en tout cas rarement – interchangeables.

Pour que vous saisissiez bien que derrière les mots, les définitions ne sont pas toujours les mêmes, et que surtout les notions changent, je vous rapporte le témoignage d’un exilé ukrainien avec lequel j’ai beaucoup échangé récemment. Il me disait : « Au départ, j’étais demandeur d’asile pour des raisons politiques, ne voulant pas être incorporé de force dans l’armée de mon pays contre la Russie. L’Administration Française m’a ensuite désigné comme réfugié – et c’est vrai que j’avais besoin d’un asile, d’un refuge ! Mais pour finir, j’ai été classé dans les migrants en quête de papiers pour être en règle et pouvoir chercher du travail. Ainsi, j’ai été perçu, par certains, comme un sans papier en situation irrégulière. »

La situation de cette personne est aujourd’hui régularisée et elle a trouvé un emploi. Mais le cursus de cet homme m’a ouvert les yeux sur la différence entre chacun des termes qui parlent de l’étranger ; des termes que nous inter-changeons en oubliant qu’ils ne disent pas la même chose, surtout pour la personne concernée : demandeur d’asile, émigré, réfugié, apatride, sans-papiers, migrant, expatrié…

L’Ancien Testament précise

Les écrivains bibliques font bien la différence, et pour eux, il y a étranger et étranger : plusieurs mots, disais-je, pour parler de plusieurs types de situation.

Il y a, par exemple, l’étranger de passage. Ce n’est pas tout à fait un touriste puisque c’est un étranger avec lequel il y a échange, commerce, relation, sans qu’il y ait installation et assimilation. Avec lui, il convient d’être honnête, même s’il n’est pas compatriote.

Il y a, ensuite, l’étranger qui le reste et qui devient même un ennemi dont il faut se méfier, dont il faut s’éloigner. Face à cet étranger, il faut rester … étranger, séparé.

Bien souvent, l’étranger est celui qui n’est pas dans la même ligne qu’Israël. Il est différent et susceptible d’être tenu à distance s’il décide volontairement de se détourner du peuple de Dieu.

Le terme le plus souvent utilisé dans la Bible est le terme GER, et son statut est très particulier, parfois difficile à discerner parce que c’est une personne qui mute, qui connait une mutation pour ne pas dire une migration.

C’est l’étranger qui s’installe et qui change d’identité pour se saisir de celle du pays qui l’accueille.

Puisque l’on parle de la Bible, il s’agit ici de l’étranger, le païen, l’idolâtre, qui devient israélite en adoptant toutes les règles civiles et religieuses des enfants d’Abraham.

Abraham étant le tout premier migrant puisqu’il sort de Mésopotamie pour chercher une terre, là où Dieu le guide.

Le GER dont parle l’Ancien Testament est donc un étranger qui s’assimile, qui se convertit même.

L’exemple le plus flagrant et le mieux illustré est celui de Ruth l’étrangère, Ruth la Moabite.

Pour l’heure, nous en restons aux généralités.

L’Exode comme référence

L’étranger est souvent celui qui est étrange, différent, autre. Et du coup, il fait peur. Et particulièrement à l’Israélite de l’Ancien Testament, lui qui se trouve tellement en opposition avec les cultures païennes et polythéistes.

Or, Dieu – le Dieu de la Bible – a, à l’égard de l’étranger, une toute autre attitude, et il demande au peuple juif d’en faire autant.

Un des textes références se trouve dans le livre de l’Exode, c’est-à-dire dans l’un des cinq livres qui constitue la Torah.

Ce texte est plus qu’intéressant parce qu’il évoque plusieurs histoires en même temps : « Tu ne maltraiteras pas l’étranger et tu ne l’opprimeras pas, car tu as été toi-même étranger en Egypte. » (Exode 22. 20)

Il n’est pas dit qu’il faut éviter de maltraiter ou d’opprimer l’étranger pour des raisons humanitaires ou fraternelles. Il est dit : « Parce que tu as été toi-même étranger en Egypte »

Cette expression revient très régulièrement dans la Torah et cela fait écho à l’expérience douloureuse des Hébreux esclaves en Egypte, et dont Moïse – l’un des plus importants personnages de l’Ancien Testament, et sans doute le plus important du Judaïsme – les a fait sortir.

L’expérience en Egypte doit servir de leçon de génération en génération, et elle est martelée plusieurs fois.

Il faut se souvenir que le livre de l’Exode (et qui dit exode dit migration) relate avec précisions la souffrance des Hébreux, descendants de Jacob-Israël, sous la férule de plusieurs pharaons.

Rappelons un peu cette histoire.

Pendant plus de 400 ans, les Hébreux ont été des immigrés en Egypte. Mais vers la fin de cette longue période, ils ont été réduits en esclavage. Cette période plus dramatique a duré plus de 40 ans.

Les Hébreux ont crié leur détresse à Dieu en espérant de lui une délivrance. Si je m’aventure à dire que cet état a duré plus de 40 ans, c’est parce qu’en lisant les premiers chapitres de l’Exode, je découvre les plaintes du peuple face à un pharaon qui, non seulement exploite cette main d’oeuvre à bon marché, mais par peur d’une infiltration dans son pays, tente d’en réduire le nombre. En effet, le pharaon voit la population juive se développer sur ses terres et il a peur que ces étrangers non assimilés deviennent des agents dormants pour des ennemis extérieurs. Du coup, il met en place une stratégie qui doit réduire le nombre d’Hébreux.

Sa politique devient assassine lorsqu’il décide de faire jeter dans le Nil tout enfant mâle naissant dans le camp des Hébreux.

C’est dans ce contexte très menaçant que va naître, de façon clandestine, un certain Moïse. Moïse sera le sauveur des Hébreux en les faisant sortir d’Egypte et en les guidant vers la Terre Promise. Mais ce scénario ne vient que 40 ans plus tard. Voilà pourquoi je disais que l’oppression avait sans doute duré plus de 40 ans.

Et 40 ans d’esclavage, d’oppression et de menaces, c’est long.

La souffrance du peuple de la Bible a donc été relativement longue. Et son souvenir doit rester présent dans les générations suivantes.

La Pâque annuelle commémore et rappelle la sortie d’Egypte et la fin de l’esclavage, mais le croyant juif doit toujours se souvenir qu’il a été esclave et étranger sur les bords du Nil.

Cette histoire marque éternellement la conscience du peuple de Dieu.

Et lorsqu’il est devant un étranger, l’Hébreu ne doit pas devenir une espèce de nouvel égyptien. Son comportement ne doit pas être celui d’un pharaon oppresseur.

Au contraire, l‘israélite doit avoir de la considération, voire une attention toute particulière à l’égard de l’étranger. Il doit lui offrir ce qu’il a espéré recevoir et qui lui a été refusé en Egypte, jusqu’à ce que la liberté soit accessible, sous la houlette d’un Moïse qui conduit au Sinaï où sont données les Tables de la Loi.
La Bible dit, d’une certaine façon : Tu as été victime ; maintenant que tu ne l’es plus, ne devient pas bourreau. Les enfants battus ne doivent pas devenir des enfants qui frappent. Il faut casser le cycle infernal. Il faut surmonter la peur en s’ouvrant à l’amour. Un amour qui vient d’ailleurs.

En Egypte, l’Hébreu a été exploité, menacé, oppressé et même exterminé. On lui a imposé des charges de travail, des horaires et des cadences inhumaines. On a essayé de le dégoûter de la vie au point qu’il n’ait plus envie de faire des enfants, et lorsqu’il procréait quand même – dans une espèce d’acte de résistance – on a tué les petits garçons qui venaient au monde en les offrant au dieu Nil.

Une façon pernicieuse d’empêcher une génération de vivre, de tuer une race à la base. Mais aussi d’alimenter un type de spiritualité idolâtre.

Naturellement, cette histoire est une histoire ancienne qui n’a aucun parallèle possible avec notre époque tellement plus évoluées !

Quoi qu’il en soit, le message biblique, et donc le message de Dieu, reste le même.

Je vous ai cité le texte d’Exode 22. Toujours dans la Torah, on trouve deux autres textes très proches, mais on note la gradation dans le relationnel à l’égard de l’étranger.

Dans Deutéronome (10,19), Dieu semble franchir un pas de plus et du coup, il encourage ses adorateurs à en faire autant : « Tu aimeras l’étranger car au pays d’Égypte vous étiez étrangers ».

Puis dans le Lévitique (19. 34), la recommandation devient encore plus pressante : « L’étranger qui réside avec vous sera pour vous comme un compatriote et tu l’aimeras comme toi-même, car vous avez été étrangers au pays d’Égypte ». »

Comme moi, vous avez noté l’évolution : au début, on dit de ne pas exploiter, de ne pas maltraiter l’étranger. Puis, le Dieu de la Bible dit qu’il faut l’aimer. Et enfin, il faut faire de lui un compatriote.

Des droits et des devoirs

Naturellement, il faut aussi un cheminement du côté de l’étranger.

Ce dernier doit cesser d’être étranger et ennemi, puis il doit accepter les lois et les coutumes du pays accueillant jusqu’à se convertir au même Dieu.

Certains diront que cette politique d’intégration qui passe par la conversion au Dieu de la Bible, au Dieu du peuple hébreu, est un peu abusive, qu’on ne peut obliger les hommes du monde à accepter le Dieu d’Israël.

Cet argument semble juste, mais il est fallacieux et trompeur.

En effet, la Bible qui dit qu’il faut aimer l’étranger dit aussi que Dieu n’est pas un Dieu étranger pour l’étranger. Le Dieu de la Bible est celui de toute l’humanité, et pas seulement celui d’Israël.

A Israël a été confiée la mission de faire connaître ce Dieu universel, créateur du monde et de tout ce qu’il contient, mais ce Dieu-là n’est pas une idole locale, ni la propriété des Hébreux. Il n’est d’ailleurs la propriété de personne.

Par contre, il est le Dieu qui aime tous les hommes, lesquels doivent migrer vers lui. Tel est le message de la Bible.

(à suivre)

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