L’Etranger dans la Bible (3)

Dans deux articles précédents, j’ai eu l’occasion de parler de l’étranger selon l’Ancien Testament. Aujourd’hui, je me propose de m’arrêter sur ce que le Nouveau Testament dit de l’étranger, de son comportement et surtout du comportement du croyant à son endroit.

De la même façon qu’il y a plusieurs mots différents en hébreu pour désigner l’étranger – l’hébreu étant la langue de l’Ancien Testament – il y a également plusieurs mots grecs différents pour parler de lui dans le Nouveau – le grec étant la langue du Nouveau Testament, dois-je le rappeler !

Trois mots et trois réalités

Le terme le plus commun est Xénos ; mot que l’on retrouve, par exemple, dans xénophobe / la haine de l’étranger.
Ce mot Xénos désigne, dans le Nouveau Testament, l’étranger, l’immigré, l’homme d’une autre culture, d’une autre race, d’une autre langue.
On trouve ce terme spécifiquement dans le célèbre propos de Jésus : « J’étais étranger (Xénos), et vous m’avez accueilli. »

Mais il y a d’autres étrangers, d’autres catégories ou d’autres statuts identifiables dans le Nouveau Testament. Ainsi, le Samaritain est un Alloguénès.
En ethnologie, allogène (ne pas confondre avec la lampe ; cela ne s’écrit pas de la même façon) est un groupe ethnique installé depuis peu de temps sur un territoire qui n’est pas le sien, et qui reste encore distinct de la population indigène (allogène / indigène)
Les étrangers allogènes du Nouveau Testament sont des individus ou des peuples qui, vivants dans la nation d’Israël, y sont minoritaires. Ils coexistent sans être acculturés, assimilés par la nation qui les accueille.

Nouvelle identité

Un jour – c’est Luc qui relate cet épisode dans son Evangile – Jésus se trouve en Samarie et il y rencontre dix lépreux qui lui demandent d’intervenir en leur faveur. Jésus les guérit et les envoie se montrer aux prêtres pour que leurs guérisons soient enregistrées et que ces ex-lépreux soient réintroduits dans la société. Alors que les miraculés sont en route, l’un d’eux revient sur ses pas pour remercier Jésus.
Jésus s’étonne en ces termes : Tous les dix n’ont-ils pas été guéris, Et il ne se trouve que cet étranger (allogène) qui soit revenu pour donner gloire à Dieu ! »
Pour le coup, cet allogène devient indigène ; cet étranger-là, déjà au bénéfice de la guérison divine, entre dans le peuple de Dieu et quitte son statut d’allogène.

L’autre

Enfin, troisième terme grec que l’on trouve dans les Evangiles pour désigner l’étranger, c’est celui qui permet de désigner l’autre, mais un autre qui n’est pas concerné, qui reste indifférent.
Faisons encore un peu de grec pour paraître savant. Le terme en question est Allotrios. Parfois il est traduit en français par autrui ; un terme très générique pour parler d’un vague autre, d’un autre indéterminé.
Or, Jésus utilise ce terme pour parler de cet étranger que les brebis ne veulent pas suivre. En effet, dans l’Evangile de Jean, Jésus parle du bon berger qui appelle ses brebis par leur nom, lesquelles brebis reconnaissent sa voix. Et Jésus insiste : « Mais ces brebis ne suivent pas un étranger (allotrios) ; au contraire, elles le fuiront parce qu’elles ne reconnaissent pas la voix des étrangers (allotrios). » (Jean 10. 5)

Les frontières bougent

Voilà donc trois catégories d’étrangers, si j’ose dire. Et maintenant, il faut remarquer plusieurs choses importantes : la première étant de rappeler que Jésus fait déborder la Bonne Nouvelle de Dieu au-delà de toutes les frontières, qu’elles soient physiques ou mentales, géographiques ou psychologiques. Ce n’est pas vraiment un point nouveau puisque déjà, dans l’Ancien Testament, il y a des indices qui parlent de l’universalité du salut offert par Dieu. L’indice de référence est dans la présentation d’Abraham par lequel toutes les nations de la terre seront bénies. Un autre indice intéressant : lorsque Jésus critique l’attitude des religieux de son temps, il cite une parole du prophète Isaïe dans l’Ancien Testament : « Cette maison – il parle du temple – devait être une maison de prière pour tous le peuples ; vous en avez fait une caverne de voleurs ! » (Matthieu 21. 13 // Isaïe 56. 7). Une maison de prière pour tous les peuples, rappelle-t-il !

Samarie comme un symbole

L’Evangile est donc pour tous, et Jésus met en pratique cette réalité. Il rencontre, notamment, une samaritaine – une étrangère donc, mais une étrangère au sein même de sa communauté puisqu’elle semble exclue vu ses conditions de vie – Or, Jésus offre à cette xéros, l’occasion de saisir la vie éternelle. C’est d’ailleurs à cette femme qu’il laisse entendre qu’il est le Messie de Dieu.
Lorsqu’il faut expliquer qui est le prochain à aimer, qui est l’autre, l’autrui à aimer, Jésus raconte la fameuse parabole du Bon Samaritain. Il explique ensuite que c’est à ce bon étranger qu’il faut s’identifier. C’est une audace, pour ne pas dire un propos scandaleux que Jésus adresse à son interlocuteur.

Le romain aussi

Il y a un autre épisode intéressant à propos des étrangers dans les Evangiles ; un épisode très révélateur. Je ne résiste pas à l’envie de vous en parler.
Un centurion romain (donc un étranger, mais aussi un envahisseur, un ennemi occupant) interpelle Jésus et lui demande d’intervenir pour son serviteur très malade. Jésus, sans hésiter, se propose d’aller chez ce romain, mais ce dernier se considère indigne de recevoir le Seigneur chez lui. Il propose que Jésus dise simplement une parole en faveur du malade. Il est persuadé que la puissance de Jésus sera efficace même à distance. L’Evangile de Matthieu, qui relate l’anecdote, signale aussi la réaction de Jésus.
« Quand Jésus entendit ces mots, il fut dans l’admiration et dit à ceux qui le suivaient : Je vous le déclare, c’est la vérité : je n’ai trouvé une telle foi chez personne en Israël. » (Matthieu 8. 10)
C’est alors l’occasion toute indiquée, pour Jésus, de redire que la Bonne Nouvelle était bien pour le monde entier puisqu’il ajoute : « Je vous l’affirme, beaucoup viendront de l’est et de l’ouest et prendront place à table dans le Royaume des cieux avec Abraham, Isaac et Jacob. » (Matthieu 8. 11)

L’audacieuse femme cananéenne

Lorsque l’on parle des étrangers dans le Nouveau Testament, on ne peut faire l’impasse sur un des épisodes les plus surprenants de l’Evangile ; c’est la rencontre entre une femme cananéenne sur le territoire de Tyr et de Sidon avec Jésus lui-même.
Nous sommes là à l’étranger – oui Jésus n’est plus en Israël à ce moment-là – et nous sommes avec une étrangère qui réclame une intervention divine en faveur de sa fille malade. Elle s’adresse à Jésus en l’appelant Seigneur et Fils de David. Ce qui n’est pas un détail.
S’en suit une discussion âpre, qui met mal à l’aise le lecteur. En effet, Jésus semble insensible à la douleur de la mère et ne s’empresse pas à répondre. Au contraire, il prononce une parole étrange, qui ne lui ressemble pas : « Je ne suis envoyé qu’aux brebis perdues d’Israël ! Il n’est pas bien de prendre le pain des enfants pour le jeter aux petits chiens !  » (Matthieu 15. 24-25)
Propos insultants, en apparence. Mais la femme ne se laisse pas démonter. Elle réplique, du tac au tac :  » Il est vrai, Seigneur ! Cependant, les petits chiens mangent des miettes qui tombent de la table de leurs maîtres. » (15. 27)
Cette réponse touche assez Jésus pour qu’il en soit impressionné, et il accorde la guérison à la fillette.
Mais que vient-il de se passer ?

Eviter la confusion

Il fait comprendre que juifs et cananéens sont étrangers l’un pour l’autre, et même ennemis. La frontière qui les sépare est un gouffre de plusieurs siècles. Or, Jésus va à l’étranger pour qu’une étrangère exprime le fond de sa pensée. Elle ne dit pas qu’il faut fusionner et qu’il suffit d’oublier qu’il y a d’un côté les juifs et de l’autre, les autres. Elle reconnaît qu’il y a des petits chiens et des maîtres. Elle affirme qu’il y a une différence entre les juifs et les non-juifs, et que les statuts diffèrent. Elle souligne que l’autre est autre, différent. Cette différence ne peut être effacée par un coup de baguette magique. L’autre n’est pas supérieur ou inférieur ; l’autre est différent, et même différent par la place qu’il occupe dans la révélation de Dieu.
Lorsque l’on reconnait la différence et qu’on ne la prend pas pour autre chose qu’une différenciation qui ouvre sur la complémentarité, alors, on abolit la différence.
L’étrangère de Canaan découvre – et nous devrions en faire autant – que l’on est toujours un étranger face à l’autre, et particulièrement face à Dieu, le Tout Autre. La différence est à accepter, pas à effacer. Il ne s’agit pas de fusionner dans une notion idyllique d’égalité, mais de reconnaître la distance entre chacun.
Or, ce qui nous permet de ne plus être étrangers les uns pour les autres, c’est de nous laisser transformer par une force plus grande que nos aspirations les plus généreuses. Cette force vient de Dieu qui souffle son Esprit à Pentecôte et qui fait que brusquement tout le monde s’entend et se comprend parce que le langage est devenu différent.

Le dénominateur commun

Plus tard, l’apôtre Paul expliquera que le statut d’étranger explose avec l’Evangile, et pas seulement ce statut-là !
« Vous êtes tous enfants de Dieu par la foi qui vous lie à Jésus-Christ. Vous tous, en effet, avez été unis au Christ dans le baptême et vous vous êtes ainsi revêtus de tout ce qu’il nous offre. Il n’importe donc plus que l’on soit juif ou non juif, esclave ou libre, homme ou femme ; en effet, vous êtes tous un dans la communion avec Jésus-Christ. (Galates 3. 26-28)
L’originalité apportée par l’Evangile est donc la suivante : c’est à la façon dont on croit en la personne du Christ, et seulement par la foi, que l’on accède au Royaume de Dieu et que l’on passe du statut d’étranger sur la terre à celui d’enfant de Dieu ; une nouvelle citoyenneté.

Je faisais allusion, un peu plus tôt, à cette parole de Jésus : « J’étais étranger et vous m’avez accueilli ! »
Jésus s’est placé à la place de l’étranger. Le recevoir ou ne pas le recevoir n’est pas anodin. En effet, Jésus évoque cette situation dans un discours dont le centre est le jugement dernier. C’est donc un thème très important, pour ne pas dire définitif. Accueillir l’étranger, c’est accueillir le Christ. Ne pas l’accueillir, c’est donc le refuser. De la décision dépend bien plus qu’un vivre ensemble plus ou moins réussi. Il en va de la vie, et de la vie éternelle.
Il serait dommage de rester étranger à ce message.

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